Prix SJE : interview de Fabien Drouet, 1er Prix


Le premier prix littéraire de la SJE a récompensé Sortir d’ici de Fabien Drouet, poète, que Sandy Bory a interrogé pour la SJE…

Sandy – Au vu de votre parcours, la poésie semble faire partie intégrante de votre quotidien, par quelle porte est-elle entrée ?

Fabien Drouet – Plus je lis-écris de la poésie, moins je sais ce que c’est que ce truc… la « poésie »… Mais oui, elle fait partie de mon quotidien. Plus jeune, j’ai écrit des chansons, j’en ai écouté, mais j’écrivais et lisais très peu. Je me souviens, au collège, je détestais tellement ça que je ne lisais jamais les livres au programme, ou plus exactement j’en lisais dix pages (que j’arrachais une fois lues, pour bien leur dire c’est bon je t’ai lue, saleté de page dégage… ).  Je demandais à mes camarades de me raconter vite fait l’histoire dans le couloir menant à la salle de cours, et de me nommer les personnages principaux, pour que je puisse faire illusion lors de le l’évaluation. Et je ne m’en sortais pas si mal… Parce que j’aimais bien écrire. 

Plus tard, j’ai découvert des textes qui m’ont plu, qui m’ont parlé. Des textes qu’écrivaient des copains, des textes ethnographiques aussi, et je me suis aperçu que la littérature ne se limitait pas aux livres de plus de 250 pages édités chez Folio (c’est un exemple). 

Puis je suis passé par les urgences psy pour une espèce de grosse dépression. Et quand je suis sorti de l’hôpital, j’ai écrit. Je me réveillais le matin, je me faisais un café, une clope, je prenais un stylo, une feuille, et j’écrivais. C’était presque automatique, j’écrivais, j’écrivais, j’écrivais, puis je lisais ce que j’avais écrit, et découvrais ce que j’avais à dire. Puis j’ai partagé quelques textes sur Internet et j’ai eu quelques retours. On m’a dit « j’aime bien ton poème » (ceux qui ne l’aimaient pas ne disaient rien (et c’est pas plus mal comme ça)). Ça m’a fait plaisir, mais surtout, j’ai découvert que certaines personnes appelaient « poésie » ce que j’écrivais. Pour moi, la poésie, c’était Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, à la limite « Le Cancre » de Prévert… mais je pensais que « poésie » nommait des textes anciens, guindés, difficilement compréhensibles, que les majuscules au début de chaque vers se devaient d’être tracées à la plume et, avant même tout propos, épater le lecteur qui, ébloui par la lumière dégagée par le texte et ses ornementations se devait de se prosterner devant l’Oeuvre sous peine d’être changé en mécréant insensible à l’insondable profondeur des âmes. J’exagère un peu (ça m’amuse), mais la poésie, pour moi, c’était à peu près ça. Et puis j’ai rencontré des textes, sur internet et dans des revues de poésie, de Pénélope Corps, de Jean Marc Flahaut, de Marc Guimo, de Jos Garnier, de Sandra Lillo, un peu plus tard de Laurent Bouisset, de Marlène Tissot, de Laurent Santi, de Jacques Prévert, de Richard Brautigan, de Murièle Modely, de… Bref, j’ai découvert que la poésie existait, qu’il existait quantité de voix très différentes les unes des autres, quantité de manières d’aborder un poème, et quantité de « petites » maisons d’édition, de revues… Mon budget en a pris un coup. Et j’ai découvert qu’il y avait même des gens qui, parfois, se regroupaient pour lire et/ou écouter des textes qu’on appelait « poésie », que ces gens étaient plutôt sympas, et que certains poètes mangeaient même des chips ! Tout ça m’a donné envie, et donné « le droit », à mon tour, de fabriquer une petite revue, la Terrasse. Puis un journal gratuit de poésie, 21 minutes. Et aussi d’organiser des lectures.

Et plus je lisais, plus j’écrivais, et plus j’écrivais, plus j’avais envie de lire… L’engrenage, depuis, ne s’est pas (ou peu de temps) stoppé.

S. – Une fois le recueil « Sortir d’ici » écrit, qu’avez-vous ressenti ?

F.D. -Dire que j’ai écrit le recueil « Sortir d’ici » ne serait pas juste. J’ai écrit des textes. Un éditeur (les Etaques) a souhaité les lire et m’a proposé de travailler un ensemble à partir de ces textes. Avec Jean, des Etaques, avec Colette Reydet (qui a fait l’image en couverture), avec Fabienne Swiatly (qui a écrit la préface), avec ma sœur (qui a corrigé pas mal de fautes), avec Laurent Bouisset, Grégoire Damon (qui ont lu certaines parties du livre et m’ont dit ce qu’ils en pensaient), on a créé Sortir d’ici. En gros, les textes sont de moi. L’ensemble est des Etaques & de moi. Le livre, c’est encore autre chose, il est des Etaques & de moi avec plein d’autres. 

Il est donc difficile de répondre à la question. Mais il est certain que travailler avec les Etaques sur ce livre a été comme un petit accomplissement. Une maison d’édition qui venait de se monter prenait le temps de réfléchir et de construire quelque chose à partir de mes textes… 

Et puis, une fois le recueil paru, j’ai pris conscience que des personnes que je ne connaissais pas pouvaient se retrouver avec « Sortir d’ici » entre les mains, avec mes textes sous les yeux. Les textes étaient toujours à la maison mais le livre était parti vivre sa vie.

S.- Que pensez-vous de la poésie comme potentiel accompagnement thérapeutique, que les mots peuvent panser les maux ?

F.D.- Je n’invente rien en disant que les mots peuvent participer au mieux-être. L’inverse est vrai aussi (et je n’invente toujours rien), les mots peuvent faire mal. Et l’utilisation d’un certain vocabulaire n’est pas anodin dans les rapports sociaux. L’utilisation d’un jargon va permettre de souder une communauté, et d’exclure aussi, l’utilisation d’une langue châtiée, dite « littéraire » va séduire ses locuteurs et les amateurs d’arabesques, mais va exclure celui qui ne la parle pas (et qui n’a aucune raison objective de la pratiquer). C’est pareil pour des dealers de shit par exemple, ils vont inventer un vocabulaire impossible à comprendre pour les flics, et le temps que les flics tentent de lister ces mots et se mettent à la poursuite de leurs sens, ces mots seront morts, inutilisés. Manier la langue, c’est forcément la créer, c’est se regrouper, et c’est aussi exclure. C’est sûrement vieux comme le monde. Et même les oiseaux font ça !

Où en étais-je ? 

Ah, oui, le poésie comme potentiel accompagnement thérapeutique. Oui, j’y crois, comme à beaucoup d’autres choses qui peuvent ouvrir à l’expression et aux impressions, et permettre de se mettre à la recherche de son identité sans embêter les autres. La poésie a d’après moi ceci de particulier qu’elle est libre. Il existe plein de formes de poésie, plein de cadres possibles, à respecter ou à éclater, la poésie donne aussi le droit de dire trois mots et d’y mettre un point final. Pour revenir à la question, je ne sais pas si les mots peuvent vraiment « panser les maux »…  Mais pour rester dans le jeu, je dirais que les mots peuvent penser les maux, ce qui est déjà pas si mal. Et les mots peuvent penser les mots, ce qui me paraît également fondamental. Se réapproprier les mots, les utiliser, les recombiner et donc les redéfinir en permanence, c’est thérapeutique, c’est la vie, et c’est même de la politique !

S.- Dans votre pratique artistique, est-ce que musique et poésie dialoguent ? Si oui, qu’ont-ils à s’apporter et à se dire ?

F.D. – Je n’ai pas trop conscience de leur dialogue. De plus en plus quand même. Je me rends compte que des rythmes qui m’obsèdent depuis longtemps se retrouvent dans mes écrits. Je remarque ça aussi de plus en plus chez les autres auteurs.trices évidemment. Chacun a sa/ses musique/s, son/ses rythme/s, et je le remarque aussi dans les manières de parler de certaines personnes que je côtoie. Écrire ou dire, c’est en quelque sorte toujours de la musique. L’humain peut voir de la musique partout… Par exemple, on va dire qu’un oiseau chante, alors qu’il est peut-être juste en train de dire « les potes, venez voir par là, il y a plein à béqueter ! ».

S. – Est-ce que la poésie est partout dans la vie, apprend-on à avoir le regard plus affûté pour l’apercevoir ?

F.D. – C’est une manière de voir les choses, peut-être. Une manière de les travailler aussi, de les modeler. Et cette manière de voir les choses devient une habitude, une habitude qui se muscle en quelque sorte… En tout cas, la poésie et l’art en général sont pour moi des vecteurs de vie. La vie n’a pas besoin de l’art pour être la vie, mais pour la vivre, c’est une autre affaire…

S. – Pouvons-nous avoir quelques indices sur votre prochain projet d’écriture ?

F.D. – En ce moment, j’écris beaucoup sur/avec/autour/à côté/ de ma grand-mère. Je la fréquente depuis un nombre d’années strictement équivalent à mon âge et j’ai très tôt pensé  qu’elle était un personnage intéressant. Elle a une manière particulière de s’exprimer, et des réflexes qui ne sont pas les miens. Nous sommes très différents, par certains points opposés, et je crois que c’est ce qui m’intéresse chez elle et dans notre relation. Elle m’a éduqué, nous sommes très proches (j’habite avec elle) et pourtant nous sommes sur certains points l’un pour l’autre de parfaits étrangers. Avant qu’elle ne s’habitue à cette bizarrerie, quand je lui disais que j’étais en train d’écrire, elle ne comprenais pas trop ce que je faisais, et pour quelles raisons, et comment, et pour quoi faire ? A l’inverse, quand elle me raconte qu’elle a passé une grande partie des jours de sa vie à s’occuper de ses enfants, de ses petits-enfants, à travailler contre salaire, je l’admire autant que ça m’interpelle, voire me révolte… Et pourtant, pour elle, ça n’a rien d’original, rien de remarquable, et surtout rien de révoltant ! Ça a été sa vie. Alors j’essaie de la comprendre. Et cerise sur les gâteaux ; elle est contente, parce qu’on se parle, et que je m’intéresse à elle ; et je suis content, parce qu’elle est contente et qu’elle s’intéresse enfin à mes textes.

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